mercredi 24 août 2016

Polaire

 L’hiver avait été plutôt féroce jusqu’à présent. Il ne restait des peaux roussies par le soleil, des cheveux aux éclats de cassonade et des perles de sueur au coin des tempes qu’une si vague impression qu’on en venait à croire qu’ils n’étaient que machination d’un imaginaire givré, désespéré de s’accrocher à quelque illusion de chaleur que ce soit.

Clémence, comme chaque matin, y allait de sa routine polaire. Méthodiquement, elle enfilait des combines sous ses jeans et des bas de laine dans ses bottes doublées de fourrure. Puis, elle revêtait son épaisse chemise de chasse sous son manteau. Le tout était couronné d’un imposant foulard qui ne laissait entrevoir qu’une petite lueur verte au fond de son regard endormi. C’était toujours avec une pointe de déception que Manu la regardait couvrir ce corps qui, nu, quelques instants plus tôt, se vautrait sous les couvertures encore porteuses des effluves de leurs ébats nocturnes. Peu à peu, les souvenirs jaillissaient en lui, le tirant de sa torpeur matinale. Les courbes de sa douce semblaient fossilisées dans la paume de ses mains et le parfum de son antre, imprégné sur sa verge. Comme le sang qui affluait par secousses de son cœur vers l’ensemble de son organisme, son désir reprenait vie, battant, rythmé, presque violent. Frustré de constater que son envie ne serait assouvie, il choisit de replonger dans un sommeil faussement satisfaisant vue l’ampleur de l’élancement qui sévissait déjà en son bas-ventre.

***

Lorsqu’elle sortit, le froid la happa. Les cils couverts de glace, les épaules crispées, elle avançait péniblement, aveuglée par la lumière crue de cette énième tempête de février. Le contraste avec la chaleur feutrée, tamisée de son appartement la dérangea profondément. Déjà, elle eut envie de compter les heures qui la séparaient du moment où elle aurait à nouveau le loisir de se blottir contre la dos musclé de son amant, le nez collé à sa nuque. Les trottoirs, empêtrés d’une épaisse couche de neige dense et mouillée, faisaient la vie dure aux piétons. Ces derniers préféraient marcher en pleine rue et les automobilistes, conciliants, partageaient volontiers la chaussée semi dégagée. Clémence trouvait toutefois un certain charme à ces matins apocalyptiques. Momentanément, Montréal se parlait : de toutes parts fusaient des initiatives de bon voisinage qui auraient tôt fait de s’évanouir avec les premières notes de la sirène de la déneigeuse. Dommage que cette solidarité soit si éphémère. Autrement, peut-être ses fantasmes de quitter la ville pour s’installer au fin fond d’un rang, loin de l’indifférence aveugle des gens trop habitués à s’empiler les uns par-dessus les autres, cesseraient de s’accroître en fréquence et intensité. Et peut-être ses discordes avec celui qui partageait sa vie, et qui a grandi sur l’asphalte des étroites ruelles, observeraient la même courbe… C’est absorbée par ses réflexions que la belle poussa les portes battantes de la station de métro.

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